Quick sonne-t-il « l’halali » du hamburger traditionnel ?

Ce pourrait bien être un des grands sujets des jours à venir : depuis quelques semaines, la chaine de restauration rapide Quick ne vend que des hamburgers halal dans huit de ses trois cents soixante-deux restaurants français : commencée en juillet à Toulouse, avant de s’étendre à Argenteuil (95), Garges-lès-Gonesse (95), Buchelay (78), Villeurbanne (69), deux restaurants de Marseille, et Roubaix (59) depuis le 30 novembre, cette expérimentation ne doit au total durer que 6 mois.

Derrière cette expérience se cachent pourtant plusieurs questions, dont une qui me préoccupe avant tout : la liberté du client de choisir ce qu’il souhaite consommer.

J’avais déjà rédigé un billet à l’occasion d’un mariage musulman auquel j’avais été convié, et durant lequel il ne fut pas servi d’alccol, alors que la plupart des convives n’étaient pas de confession musulmane.

Photo parue sur le site Lepoint.fr / © Cyril SOLLIER / MAXPPP

Aujourd’hui, Quick nous plonge dans une situation relativement identique : en décidant de bannir le bacon de tous ses sandwichs, remplacé par de la dinde fumé, et en certifiant que le boeuf est halal, il impose à tous ses clients de se plier à ce choix, sans autre alternative que d’aller manger ailleurs si l’on ne souhaite pas sacrifier au vrai goût du bacon. Un peu comme si une grande surface décidait de ne plus vendre que du Coca lésant ainsi le consommateur de Pepsi.

Entendons-nous bien : le but de mon propos n’est nullement de critiquer de quelques façons que ce soit la religion musulmane. Je trouve au contraire très pertinent de la part de Quick de réfléchir à adapter son offre pour réussir à satisfaire une part de sa clientèle, surtout si celle-ci est majoritaire. Simplement, je rejoins le maire de Roubaix, René Vandierendonck, qui déclare dans le Monde « Je me félicite que Quick adapte son offre aux consommateurs en proposant du halal, mais ça va trop loin quand on ne propose plus que cela, cela devient discriminatoire. »

Ce qui me gêne en effet dans le cas présent, c’est bien l’absence de choix qui est offerte au consommateur habitant cette région, qui ne dispose pas de la même offre que les autres clients de Quick ailleurs en France. Une situation tout aussi gênante quand un magasin Franprix décide de ne vendre que des produits hallal (Evry) ou casher (Paris 11e). Car il s’agit d’enseignes nationales. En revanche, qu’un kebab me propose de la viande certifiée islamique ne me pose aucun problème en revanche…

Bien entendu, le client pourrait aller dans un autre restaurant,  une autre chaîne de restauration rapide. Mais pourquoi serait-ce à lui de s’adapter et modifier ses habitudes et son comportement de consommation ? N’y a-t-il pas là, typiquement, une forme d’exclusion en sens inverse ?

Exclusion, communautarisme, les mots vont être au centre du débat à n’en pas douter.

Je comprends l’argument économique envisagé par Quick (un marché halal évalué à près de 5,5 milliards d’euros en 2010). Et toujours dans l’article du monde, un blogueur interviewé a raison de souligner que si Quick double son chiffre d’affaires dans ces restaurants, il n’hésitera pas à passer au tout halal.

Néanmoins, de nombreuses interrogations se font jour également sur la certification halal. Et au sein même de la communauté musulmane, des voix s’élèvent pour signaler le risque de stigmatisation de la religion musulmane.

Un coup de communication organisé par Quick

Pour un communicant, difficile de ne pas imaginer immédiatement qu’il s’agit là d’un coup de communication organisée par Quick. Et pourtant, j’avoue qu’au travers de mes recherches, je n’ai rien trouvé qui puisse accréditer cette thèse.

Car cette action débutée en 2009 en toute discrétion finalement – lire chez Marc Vasseur son billet dans lequel il rappelle « à l’époque, point de réaction outrée. Ah si, un copain – Ali –  m’avait parlé de ça en décembre sur le thème du « tu comprends y a du pognon à se faire pour eux… » » – ne revient sur le devant de la scène que suite à l’article paru ce samedi 13 février dans la Voix du Nord, et qui soulignait l’absence de hamburger non-halal au Quick de Roubaix. Difficile de s’imaginer dans ces conditions là un coup de communication de la part de l’enseigne, puisqu’il n’y avait rien de nouveau depuis novembre.

Rien de nouveau, si ce n’est que cette fois-ci les politiques ont embrayé, comme le souligne sur son blog penseesdoutrepolitique. Que ce soit le maire de Roubaix, ou la « fille de » qui est à la tête du FN, ou les députés UMP qui appellent au boycott, les acteurs politiques se saisissent de l’affaire.

Etudiant tour à tour les aspects des interdits religieux et de la communautarisation, penseesdoutrepolitique livre une analyse intéressante sur le sujet, mettant en écrivant en particulier

Au-delà, c’est la question de la communautarisation de la société qui se pose. Faut-il que dans les quartiers à dominante musulmane, tout soit musulman? Doit-on abandonner le modèle français au profit du modèle anglo-saxon? Au fond, la question ne se pose que parce que la population musulmane est nombreuse. Personne ne s’offusque que dans certains quartiers, il y ait des boucheries polonaises ou des épiceries italiennes. Parce que cela reste marginal, et que les Italiens ou les Polonais n’ont jamais été à ce point nombreux qu’on puisse avoir des craintes sur une éventuelle dilution de notre identité. D’où les inquiétudes de voir la société se diviser en communautés qui vivraient les unes à côté des autres, sans constituer un groupe commun.

Et du côté de chez Quick ?

On évoque naturellement une hausse des résultats de la fréquentation du magasin de Roubaix. Et La Dépêche rappelle qu’à Basso Cambo, quartier de Toulouse où se situe le Quick à l’initiative de l’opération, on note une hausse de la fréquentation et la clientèle semble partagée, même si l’offre a plus attiré que repoussé.

Interrogé sur lepost.fr, Quick, conscient d’être au centre d’une polémique naissante, explique avoir décidé de ne pas répondre au critique car il ne s’agit pour l’instant que d’une phase de test. De même l’enseigne ne donne aucune indication sur les bases qui serviront à tirer les conclusions de cette expérience.

Pour conclure, cette citation attribuée à Stéphane Guillon – et lue sur le blog de Marc Vasseur –  « Maintenant les musulmans pourront aussi bouffer de la merde ».

9 commentaires

  1. Je crois que tout cela tourne en rond autour de la mauvaise question : exclusion des non musulmans des restau musulmans ou exclusion des musulmans des restau non musulmans ?

    Et on peut le décliner tout autant pour les juifs.

    D’abord, ce n’est pas une exclusion, c’est tout au plus un ressenti d’exclusion. Et c’est ceux qui pratiquent une religion qui s’excluent eux-mêmes de ce qui ne convient pas à leur religion.

    Donc aboutir à interdire toute pratique coïncidant avec une règle religieuse au motif de ne pas exclure les autres, revient à exclure les religieux. Surtout pour des choses aussi peu obligatoires que des bouffe-rapide !

    En fait, toutes ces réactions prétenduement fondées sur l »exclusion qu’entraîneraient certaines situation, sont une monstrueuse hypocrisie ! http://bit.ly/cieghv
    Que tous ces gens aient au moins le courage de le dire clairement : plus de musulmans, ou plus de juifs, ou plus de religion du tout !

    • Bonjour et merci pour ton commentaire.
      J’avais lu ton billet ce matin mais je ne partage pas tout à fait ton analyse.
      Je rejoins sur l’idée « ressenti d’exclusion » car effectivement, je ne suis pas exclu du Quick en question, j’y suis même le bienvenu si je le souhaite. Et je pense que les gens peuvent se sentir exclus puisqu’on ne leur offre pas le choix (viande halal par exemple) .
      Mais je ne rejoins pas sur l’approche religieuse : la foi est basée sur des convictions. Il ne s’agit donc pas de s’exclure de ce qui convient pas à ta religion, mais de faire un choix volontaire, basée sur la conviction. La personne assume un choix et ne le subit pas.
      Or pour moi, l’exclusion est une situation subie.
      L’idée n’est pas de rejeter qui que ce soit, il n ‘y a aucune hypocrisie de ma part, mais bien de m’assurer que le consommateur aura le choix. Sinon, à ce rythme, c’est la fin des commerces traditionnels dans certains secteurs du 93 où la population musulmane va être majoritaire.
      Si j’osais un parallèle, je te dirai bien que l’Etat est le garant de la laïcité en France, et assure à chacun la possibilité de pratiquer sa religion. Pourquoi ne serait-il pas le garant d’une laïcité commerciale, qui consiste à s’assurer que tout un chacun puisse trouver un produit à sa convenance, indépendamment de son orientation religieuse ?

      • C’est tout le problème de la mixité sociale. De ce point de vue là, vous avez parfaitement raison. Mais la mixité sociale dépend en réalité de l’étendue du territoire que l’on regarde. La France est un pays de mixité sociale. Paris aussi, le 16ème moins, le 13ème moins (chinois), Roubaix est une ville de mixité sociale. Quick un peu (rien pour les juifs) et le Quick de Roubaix un peu plus ( un peu pour les musulmans, toujours rien pour les juifs).
        Je me suis rendue compte que c’était le problème de la mixité sociale et c’est le sujet de mon post d’aujourd’hui : http://bit.ly/ahH9Cs
        Mais, sauf erreur de ma part, aucune religion n’IMPOSE de manger du porc. Donc, je persiste à ne pas voir l’exclusion d’avoir un Quick qui ne sert pas la totalité de sa carte. Il y a des villes qui n’ont pas de Quick et leurs habitants peuvent aussi se sentir exclus de voir des pubs à la TV et de ne pouvoir en profiter …

  2. Bon, mon Lolo, tu sais à quel point d’habitude je contre ce genre de démarche.
    Mais permets moi de m’inscrire en faux dans ton billet.
    La viande Halal correspond à une façon rituelle de tuer l’animal… cela ne change en aucun cas son goût.
    Donc, le côté « ça ne plait pas au non-musulman » n’est pas recevable au sens où la viande n’a pas un goût différent…
    Ou alors une personne qui ne voudrait pas manger du halal est un ignorant ou un sectaire…
    A plus tard, mon Lolo et bon courage.
    Toujours très intéressant de lire tes billets
    Bruno

    • Mon cher Bruno,
      Je suis tout à fait d’accord avec toi sur la question du goût. Encore que la dinde à la place du bacon… faut voir.
      Mais si je comprends que Quick souhaite proposer le choix aux musulmans d’un produit respectant leurs traditions et leurs goûts, j’ai le droit de m’étonner qu’on ne respecte plus, à l’inverse, mon souhait de consommateur de ne pas consommer halal…quand bien même le goût soit identique.
      Mon propos, j’insiste, n’est pas contre la viande halal, mais bien contre le fait que ceci soit « imposé » sans autre alternative. Même si rien n’y personne ne m’oblige à aller chez Quick.
      Si tout le monde peut manger halal, tout le monde doit pouvoir aussi avoir la liberté de ne pas manger halal.
      Et oui, il est sans doute regrettable que ces enseignes n’aient pas proposé de plats halal avant… comme elles devraient proposer des plats végétariens pour ceux qui ne mangent pas de viande du tout. Fini la Ford T noire… on veut avoir le choix, même pour des burgers.

  3. La laïcité serait-elle en passe de devenir religion ? En son nom, on stigmatise des pratiques pour la simple et « bonne » (?) raison qu’elles n’entrent pas dans le schéma conventionnel et conformiste de pratiques dites laïques. Arrêtons de nous voiler la face : c’est pratique de se dire laïque lorsque même le calendrier – pourtant national – est en tout point chrétien. Un catholique peut en France suivre les préceptes de sa religion sans grande difficulté et en toute discrétion. Mais Juifs et Musulmans n’ont pas le droit à ces privilèges, dans un pays où ne pas fêter l’Aïd ou Kippour un 25 décembre dérange. Dans ces conditions, il est facile de préconiser une pratique de la religion limitée à la sphère privée et sans signe ostentatoire – tout en sachant que cela revient à demander à l’ « Autre » (ben oui, il s’agit bien d’accepter et de tolérer autrui dans sa différence) de ne plus suivre les fondements de sa foi. C’est ce qui arrive quand la laïcité devient texte sacré… être Français et républicain, est-ce alors devoir être chrétien ou athée et rien d’autre ? Alors en effet, ne proposer QUE de la viande Hallal est scandaleux, mais ne pas avoir d’alcool à un mariage musulman est … musulman. Que peut-on attendre de la part d’un immam célébrant un mariage musulman : qu’il nous convie à la mairie puis au pub du coin pour une bonne bibine-sauciflard ou qu’il nous ouvre les portes d’une autre culture et nous enrichisse un peu (sans forcément nous convertir) ? La place de la religion est un vrai problème, elle est aussi une opportunité. Il faut juste trouver un juste milieu. Ni l’opportunisme nauséabond de Quick, ni la pensée « officielle » bien-pensante et hypocrite de l’Etat – car elle place l’autre devant un choix cornélien – ne proposent de solution. Les deux ne font qu’engendrer de nouveaux problèmes.

  4. Petite confusion dans la nature des arguments.
    Quand on va dans un restaurant de chaîne, c’est pour y retrouver des produits formatés, identiques partout. Certes, il y a des différences entre les menus McDo indiens et français, américains et italiens, mais tout de même.
    C’est pourquoi avoir des produits Quick qui ne ressemblent pas au produit annoncé par la publicité, par exemple, est assez étrange. C’est bien le principe de la franchise : garantir quelque chose de ressemblant et de similaire dans les différents points de vente de l’enseigne.
    La politique d’un distributeur est en revanche bien différente : il vend du mètre de linéaires, et sa gamme évolue selon les circonstances. Assez paradoxalement, il est bien plus libre de déréférencer Pepsi si celui-ci ne répond pas à ses exigences ou si ses produits ne se vendent pas localement.

  5. Quick est t’il présent dans les pays Musulman ?

  6. @Amenofis @Eni_kao: : Merci pour vos commentaires, très intéressants

    @Giorgio : aucune idée…à toi de nous dire 🙂


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